Jordan a commencé à intervenir pour Quartier Japon en janvier 2022, après avoir choisi de quitter un travail alimentaire pour tenter de vivre de sa passion, le dessin ! (Voir le post "J'ai quitté un CDI pour devenir mangaka).
Quartier Japon (QJ) : Lors de notre dernier échange, nous avions parlé de tes différentes activités et notamment que tu avais commencé par essayer d'être présent sur des festivals pour réaliser des portraits et vendre tes travaux, en même temps que tu donnais des cours dans différents lieux via Quartier Japon... Tu avais ensuite arrêté rapidement les festivals, car c'était compliqué, et tu t'étais recentré sur les cours et les animations.
Tu m'avais alors expliqué tout l'intérêt et toute l'importance qu'il y a de d'abord donner des cours avant de pouvoir aller sur les festivals, plutôt que de commencer d’abord par être présent sur les festivals et les conventions.
Tu pourrais me reparler de tout ça ? Qu'est-ce que ça t'apporte d'animer, qui te sert ensuite dans les festivals ?
Jordan E. (JE) : L'importance de d'abord donner des cours, pour une personne timide comme moi, on arrive plus facilement à nouer le contact avec la personne en face de soi. Quand on est en convention, j’avais plutôt du mal à aller vers les gens, alors que quand on est en cours (en animation), on sait que les gens sont là pour le cours et donc c'est plus facile d'aller vers eux.
Comme c'est donc eux qui viennent vers nous, pour le cours, on commence à apprendre, de telle façon à ce que le contact soit plus facile avec les interlocuteurs. Ensuite, en convention, pendant les festivals, c'est plus facile de trouver des sujets de conversation et d'attirer les personnes sur notre pratique artistique.
QJ : Pendant les cours, ce sont les participants qui, en te parlant, te donnent les phrases clés ainsi que des sujets d’échanges, qui te permettront ensuite d’avoir les arguments pour pouvoir attirer la clientèle vers ce que tu proposes pendant les festivals.
Justement, concernant le contact, qui semble être la question importante pour toi, vois-tu d'autres éléments qui font que c'est plus facile pour toi d'avoir le contact pendant les cours et dont tu te serviras, ensuite, pour les conventions ? D'ailleurs, est-ce que tu es devenu beaucoup plus à l'aise maintenant en conventions, du fait que tu as donné des cours ?
JE : Oui, je suis beaucoup plus à l'aise ! En même temps, cela ne me fait plus peur le contact avec les visiteurs, pendant les festivals.
On apprend qu'on n’a plus peur de la personne qu'on a en face de soi et ça nous donne un peu plus d'assurance. Surtout, donner des cours, ça nous met comme étant un personnage principal, pendant la durée du cours et ensuite, quand on participe à des conventions, on apprend à se mettre en avant pour ne plus être timide.
QJ : Est-ce qu'il y a d'autres éléments qui, d’une façon peut-être plus générale ou sur d'autres sujets - sur la technique et des choses comme ça… - qui te permettent ensuite d'être plus à l'aise en convention ?
JE : Oui, quand on donne cours, on explique notre propre pédagogie. En convention, quand un client vient vers toi, on peut plus facilement lui expliquer notre façon de travailler. Parfois les clients - les enfants comme les adultes - nous demandent des conseils et on peut facilement leur répondre.
QJ : Donc d'une certaine façon, tu peux grâce aux cours « te vendre plus facilement » ; c'est cela ?
JE : C'est ça. Ca nous permet d'avoir une assurance et de savoir mieux communiquer sans stress et sans contrainte.
QJ : Justement, quand tu donnes cours, tu es dans une contrainte de temps et de format ; est-ce que c'est une activité stressante ? Notamment, les premières fois, comment ça s'est passé pour toi ? Est-ce que c'était très difficile ou moyennement difficile et pourquoi ?
JE : Au début, c'était stressant, du fait que tout le monde nous regarde et tout le monde attend quelque chose de nous… Par la suite, quand ça devient une habitude, on prend confiance en soi et on arrive à dévoiler toute notre connaissance.
QJ : Les premières fois, notamment pour quelqu'un de timide comme tu l'étais, de se retrouver tout seul au centre des attentions et des attentes de tout un public, c'est quelque chose qui peut être assez stressant… Les premières fois, comment tu as pu réussir à dépasser cette pression que tu avais certainement au début ?
JE : Au début, c'était vraiment difficile d'être le personnage principal de l'histoire ; surtout que, au début, on peut avoir souvent des personnes qui peuvent essayer de nous contredire… Ce qui peut nous mettre un gros stress… Plus tard, une fois que l’on connait vraiment les réponses aux questions de telles personnes - d’autant que c’est souvent les mêmes questions qui arrivent - on sait quoi répondre pour les fois suivantes.
QJ : Y a-t-il aussi d’autres situations qui peuvent être stressantes ?
JE : On peut aussi avoir des personnes qui sont très renseignées sur le manga… Ces personnes-là, je comprends qu'elles peuvent avoir raison mais qu'elles peuvent aussi avoir tort… Donc, si on arrive à leur répondre, ça peut faire baisser le stress.
Egalement, des enfants ont des comportements différents des participants en général. Il peut certes y avoir les animateurs qui les encadrent, mais nous aussi, nous pouvons les encadrer pour qu'ils aient le bon comportement. Par la suite, pendant les conventions, on arrive ainsi à déceler ce genre de personnes et cela devient donc aussi plus facile de leur répondre et de les recadrer.
QJ : Finalement, comment tu as appris, surtout les premières fois, à réagir face à ces participant qui connaissent beaucoup de choses sur le manga, sur la technique, sur les personnages et croient qu’ils ont toujours raison ? Comment tu as pu trouver les techniques pour recadrer ces participants mais aussi les enfants qui avaient un comportement qui, parfois, pouvait poser problème ? Comment tu as appris à faire ça ?
JE : Déjà, il faut prendre sur soi face aux questions auxquelles on ne peut pas répondre sur le moment. Par contre, il faut ensuite chercher pour pouvoir y répondre la fois prochaine ; parce que c'est sûr que ce seront des questions qui vont revenir ! A la base, il faut déjà avoir une très bonne culture de base et une grosse connaissance manga, pour ne pas toujours botter en touche et pour pouvoir répondre à toutes les questions.
En gros, même si ça dépend de l'âge de la personne qui les posera, les participants vont toujours nous poser ce même genre de questions.
QJ : Tu as quelques questions qui reviennent souvent, pour nous permettre de nous faire une idée ?
JE : Par exemple, les personnes plus âgées demandent souvent «Pourquoi mon enfant reste trop dans les mangas ? »
Je leur explique alors que moi, à leur âge, j'étais à cette place-là : je m'enfermais dans ma chambre à toujours lire des mangas, à analyser la façon de dessiner, à voir l'avancée de l'histoire et cela m'a appris beaucoup de choses sur le manga. Pour autant, ce n'est pas ce qui a fait de moi une personne qui s'est renfermée sur elle-même ; j'avais des amis et ces amis, ils avaient le même hobby que moi, à savoir les mangas.
Et donc ça n'a pas fait de moi une mauvaise personne.
Un autre exemple, par rapport à la technique manga : on peut avoir souvent des personnes qui vont dire, quand je leur montre quelque chose « moi, je ne fais pas comme ça… »
Dans ce cas-là, il faut expliquer à la personne concernée qu’il y a beaucoup de techniques et plusieurs façons de faire, mais que moi je vais lui en montrer une et peut-être que dans cette technique, elle va apprendre ou comprendre des choses par rapport à sa propre technique. Comme elle partira de sa propre façon de faire, elle comprendra peut-être plus facilement ce que j’expliquerai. En gros, ce sera ainsi plus facile pour elle de comprendre ou plus facile, ensuite, à réaliser.
QJ : Pour en revenir aux enfants, comment fais-tu pour les gérer ?
JE : Encore une fois, je me mets un peu à leur place et je leur explique que je suis venu pour leur donner des cours et que ce n'est pas tout le monde qui a la chance d'avoir un cours de manga offert par leur médiathèque ou autre. Donc, il faut apprécier ce moment et prendre le temps de bien apprendre pendant le cours, pour qu'ensuite ils puissent avoir des notions de dessinateur. Et ça, ça calme souvent les jeunes.
Je ne sais pas si j'ai de la répartie - moi je ne trouve pas - mais j'arrive à leur répondre correctement, de sorte qu'ils comprennent que ce que je dis est peut-être bon et justifié.
QJ : D'une façon plus générale, donner des cours, ça a permis un changement dans ta personnalité et ensuite dans ton dessin et dans ton trait ?
JE : A force de montrer mes dessins et d’en parler, je comprends ce qui est original et ce qui ne l'est pas dans mes dessins. Quand une centaine environ de personnes ont vu tes dessins et qu’ils disent « ah, ça je l'ai vu. Ca, j'ai pas vu… », ça aide à être plus original et à faire des choses attrayantes.
Concernant cette fois ma personnalité, ça me permet d'être plus sociable, d'avoir l'échange facile maintenant et d'être moins timide ; c'est le plus important.
QJ : Est-ce que tu vois d'autres choses que les cours t’ont permis ou ont eu comme conséquences, autant sur toi que sur ton travail de dessinateur ? Mais aussi, par exemple, en conventions pour te vendre et te mettre davantage en avant, toi et ton travail ?
JE : Effectivement, ça me permet de parler plus facilement de mes dessins, que ce soit dans la rue ou même auprès de ma famille. C’est même devenu récurrent et normal, que de parler de ce que je fais, que ce soit avec ma famille mais même aussi, des fois, dans la rue ! Je peux dire que c'est devenu maintenant une part de moi, qui est naturelle.
QJ : A présent que tu sens pleinement que c'est une part de toi et que c'est naturel, penses-tu que cela peut être une force qui va te permettre d'aller encore plus de l'avant ? Une force sur laquelle tu peux t'appuyer pour peut-être oser des choses que tu n'aurais peut-être pas osées auparavant ?
JE : Tout à fait. Par exemple, comme mettre en place des partenariats avec des personnes qui n'ont rien à voir avec le dessin. Par exemple, j’ai mis en place un partenariat avec une association en immobilier. En gros, je suis allé trouver cette association, qui organisait une course caritative, pour collecter des fonds pour aider des enfants orphelins ou rejetés ou avec des familles difficiles et je leur ai proposé de réaliser un logo à mettre sur les maillots des coureurs et sur leurs supports de communication. Si je n'avais pas été dans le métier d’illustrateur, je sais que je n'aurais jamais proposé ça !
Egalement, j’ai des amis qui me proposent de réaliser les logos de leur entreprise. A présent, comme je suis assuré dans mon dessin, ce sont des projets que j'accepte plus facilement !
QJ : Donc, d'une façon générale, on peut dire que de donner des cours régulièrement avec un public qui vient exprès pour t'écouter, ça t'a obligé à être plus confiant et plus sûr de toi et le fait d'être confiant et sûr de toi, ça te permet ensuite de te projeter sur des projets auxquels tu n'aurais pas pu ou tu n'aurais pas osé répondre avant ; c'est ça ?
JE : Exactement, c'est bien ça ! Donner des cours, ça permet de voir plus grand et d'élever ses exigences, autant par rapport à soi-même que sur ses dessins. Même si on vise toujours à évoluer, enseigner et présenter ses œuvres renforcent vraiment la confiance en soi et la motivation. Les retours positifs et la gratitude des participants jouent un grand rôle là-dedans.
C’est vraiment motivant de donner des cours, parce qu’à chaque fois, on reçoit la reconnaissance des élèves. Ces échanges nous poussent à avancer et à apprendre encore plus. Par exemple, quand ils posent des questions difficiles, on a envie de savoir qui a raison, et ça nous amène à faire des recherches, donc on apprend toujours quelque chose de nouveau. En plus, en enseignant, on améliore notre propre style de dessin grâce à la répétition et à l’évolution de notre pédagogie. On est toujours en perpétuelle évolution !
Et puis, voir des enfants qui ont déjà suivi mes cours, visiter mon site et essayer de dessiner à ma manière, c’est vraiment gratifiant. Je leur dis toujours de puiser dans leur imagination plutôt que de m’imiter. Voir ces jeunes mettre leurs dessins en montage sur des t-shirts, avec des personnages qu'ils ont créés eux-mêmes, ça fait vraiment plaisir. Même un seul cours peut avoir un impact durable, et c’est une grande satisfaction de le constater !
En conclusion, donner des cours avant de participer à des événements manga est vraiment intéressant. Cela permet de développer une meilleure confiance en soi, d'affiner ses compétences et d'inspirer les autres. Cette expérience enrichissante est, selon moi, indispensable pour quiconque souhaite s'épanouir dans le métier de dessinateur et partager sa passion avec un public plus large.
Jordan on t’aime c’est toi le meilleur !! 🫶🏼🙌🏼🎉
Belaid.