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Photo du rédacteurMariama Sylla

Nihon-buyô, la danse traditionnelle japonaise



世古口亜綾 - Aya SEKOGUCHI - En France depuis 1998


Le Nihon-Buyô, la danse basée sur la danse du kabuki (kabuki-buyô), est l’une des formes traditionnelles des arts scéniques japonais, au même titre que le Nô, le Kyôgen, le Kabuki, le Bunraku. Toutes ces formes artistiques, tout en gardant leur originalité, se sont influencées par le passé et continuent de s’influencer les unes les autres.

L’origine directe du Nihon-Buyô pourrait remonter jusqu’à la danse kabuki-odori (odori signifiant la danse) que la danseuse Okuni commença à exécuter en 1603. Cette nouvelle forme de danse absorba tous les styles anciens – la danse de cour, la danse cérémonielle religieuse, la danse du Nô et la danse bouddhique. Ultérieurement, l’adjonction de l’élément théâtral à la danse kabuki-odori donna naissance au théâtre Kabuki (forme théâtrale dont les acteurs sont uniquement masculins). Plus tard, dès le milieu du 17ème siècle jusqu’au milieu du 18ème siècle, au fur et à mesure que la danse kabuki-odori évoluait comme une partie importante du Kabuki, plusieurs chorégraphes commencèrent à réaliser des performances indépendantes, séparées du Kabuki ; ce sont les fondateurs du Nihon-Buyô.

Bien que le Nihon-buyô soit intrinsèquement associé au Kabuki, ses éléments dramatiques et techniques se développèrent également à partir des autres formes d’arts scéniques, telles que le Nô, le Kyôgen et le Bunraku.

Les formes actuelles du Nihon-Buyô pourraient ainsi être classées selon les trois grands répertoires suivants :

1. kabuki-buyô Les pièces de danse du Kabuki-Buyô se retrouvent dans le programme du théâtre Kabuki. Elles sont exécutées aussi bien par des hommes que par des femmes en dehors du théâtre Kabuki. Il s’agit de la danse développée à Edo sur la base de l’odori. (cf plus loin)

2. oshûgi-mai Ce sont des danses cérémonielles, influencées surtout par le Nô, et créées afin de célébrer des événements tels que la création d’une école, l’héritage du nom de scène... Les paroles de ces pièces chantent souvent ce qui portera chance ou prospérité (symboles tels que le pin, le prunier, la grue, la tortue…).

3. kamigata-mai Forme de danse qui s’est développée à Kyôto et à Osaka, dont le style se fonde sur le mai. (cf plus loin)


  • Histoire

Le terme de Nihon-Buyô (nihon signifiant Japon, et buyô, la danse) a été proposé par un grand réformateur de la scène japonaise, TSUBOUCHI Shôyô (1859-1935) qui, avec l’introduction soudaine de la culture occidentale à l’ère Meiji, ressentit la nécessité de promouvoir une catégorie qui englobait les différents genres de danses existant au Japon depuis l’aube des temps – par opposition à la danse occidentale.

Avant cette apparition du terme Nihon-Buyô, la danse japonaise était désignée soit par « mai » (danse statique) dans la région du Kansai (autour de Kyôto ou Osaka), soit par « odori » (danse dynamique) dans la région du Kantô (autour de Tôkyô). Le Nihon-Buyô englobe ces deux formes de danse, qui ont chacune des histoires différentes.



Prêtresse Okuni

L’histoire du mai remonte à l’antiquité.

La première danseuse au Japon fut une prêtresse, qui officiait en dansant à l’occasion de cérémonies chamaniques recevant l’oracle afin de prévoir le futur. La menace des désastres naturels était en effet omniprésente dans la société de l’époque. Elle dansa en enroulant une liane autour de sa tête, tenant des feuilles de bambou à la main. A cette époque, la croyance voulait qu’une divinité fût logée dans les arbres et dans les fleurs. La danseuse tourbillonna au rythme du tambour, possédée par les dieux, les accueillant en elle. Son battement de la mesure avec le pied réveilla l’esprit de la terre et calma le mal. La danse exécutée à l’occasion d’une prière pour une récolte abondante est importante au Japon, pays de riziculture. Le battement de la mesure avec le pied subsiste toujours dans le Nihon-buyô, et l’aspect prière se retrouve dans le répertoire appelé « sanbasô-mono ».

Vers le 7ème siècle, les arts étrangers parvinrent au Japon, en provenance de la Corée et de la Chine, parmi lesquels les danses suivantes :

le Gigaku, danse chinoise dansée avec un masque à l’occasion de cérémonie bouddhique,

le Bugaku, danse qui se développa à l’époque Heian, enrichie du raffinement japonais de l’époque, appréciée des aristocrates,

le Sangaku, qui regroupait le mime, le chant et la danse, à partir duquel le théâtre Nô apparut plus tard.

Du 11ème au 13ème siècle, de l’époque aristocratique à la période shogounale, des prêtresses et danseuses itinérantes appelées shirabyôshi étaient mises en vedette. Déguisées en homme, elles chantaient les légendes des temples et les charités du bouddha, dédiant la danse du mai en guise de prière adressée aux divinités. La danse kuse-mai, danse racontant une histoire, naquît de cette époque. Plus tard, cette forme artistique fut introduite dans le Nô. Aujourd’hui, la danse du Nô s’appelle mai. Au sens large, tous les mouvements du théâtre Nô sont également considérés comme autant d’éléments du mai.

L’histoire de l’odori remonte, quant à elle, au début de la période Heian, soit vers le 10ème siècle, à travers la danse nenbutsu-odori du prêtre Kûya-shônin.

A cette époque, deux styles d’exercices prédominaient dans le bouddhisme. Le premier, « jôza-zanmai », renvoyait à une méditation assise, immobile. Le second, « jôgyô-zanmai », consistait en une méditation en mouvement, pratiquée en marchant en tournant autour de la statue du bouddha et en répétant des prières appelées nenbutsu. Ce second exercice prit peu à peu une forme artistique ; c’est ainsi qu’apparut le nenbutsu-odori.

Le nenbutsu-odori est une danse très simple, gaie, que l’on pratique en sautant au rythme du tambour et en récitant des prières à bouddha pour effacer un tourment. Comme la croyance voulait que la maladie, les désastres naturels, les insectes nuisibles, .., provenaient d’esprits morts accidentellement à cause de la guerre, le nenbutsu-odori fut pratiqué en tant que cérémonie religieuse pour calmer et pour faire s’enfuir ces esprits.

En 1603, une prêtresse appelée Okuni apparue à Kyôto. Afin de faire une collecte pour la restauration du temple, elle donna un premier spectacle qui introduisait le nenbutsu-odori ; c’est de là qu’apparût le kabuki-odori. Cette danse, rapidement rencontra un grand succès, donnant ainsi naissance à plusieurs troupes d’onna-kabuki (« onna » signifie femme), dont les spectacles sans intrigue se résumaient en un défilé de nombreuses femmes pomponnées dansant des chansons en vogue. Bientôt, l’onna-kabuki fut interdit par les autorités, pour lesquelles elle représentait un risque de trouble à l’ordre public, les danseuses vendant dans le même temps leurs charmes.



Ebizo Ichikawa XI

Vint ensuite l’époque du wakashu-kabuki, le Kabuki joué par de beaux garçons. Les éléments du Nô et du Kyôgen furent alors introduits dans le Kabuki ; l’essence du mai entra ainsi dans l’odori.

En 1652, le wakashu-kabuki fut à son tour interdit. En revanche, apparut le yarô-kabuki, joué par des hommes. Une certaine intrigue ayant été ajoutée, la danse commença à prendre un aspect dramatique, théâtral. Par conséquent, l’élément du geste mimique (furi) se trouva intégré à la danse.

Le développement de la danse théâtrale réclama d’autre part l’intervention de chorégraphes spécialisés. La fin du 17ème siècle vit ainsi l’apparition de tels chorégraphes, puis ceux-ci commencèrent dès lors à prendre leur indépendance par rapport au théâtre Kabuki, en devenant enseignants de danse pour les amateurs et en établissant leurs propres écoles. L’une des plus anciennes de ces écoles est l’école Nishikawa fondée par Senzô NISHIKAWA Ier (1697-1756) qui déploya une intense activité créative qui fit de lui l’un des chorégraphes les plus influents du Nihon-Buyô.


  • Les mouvements

Le Nihon-buyô englobe trois formes de mouvements différents :

• les mouvements du mai : des mouvements statiques et abstraits,

• les mouvements de l’odori : des mouvements dynamiques et rythmiques,

• les mouvements du furi (geste mimique) : des mouvements traduisant l’expression dramatique et figurative.


Chacun de ces différents mouvements est décomposé en unités, appelées kata. Les kata sont des enchaînements de mouvements stylisés qui se succèdent et qui sont hérités du passé en étant améliorés de générations en générations.

L’intervalle entre chaque mouvement, à savoir ce qui relie les kata, est appelé ma. On dit que l’essence du Nihon-Buyô réside dans le ma, ce moment d’arrêt, qui unit et articule chacun des kata.

L’intervalle ma est rempli par la respiration, qui unit le corps et l’esprit, et par là-même est rempli de l’énergie mentale alors produite par le corps-esprit. Les deux caractéristiques kata et ma sont également présentes dans d’autres arts traditionnels japonais, dont le Nô et le Kabuki, comme dans différents autres domaines de la culture japonaise, tels que la peinture, l’architecture, les poèmes, les arts martiaux... Par exemple, ma, au sens spatial, se trouve présent à travers la marge blanche de la peinture traditionnelle chinoise ou japonaise ou encore dans le sable blanc du jardin de pierre du temple Ryôan-ji à Kyôto.

  • Les costumes & les décors

Les costumes, kimono, se sont développés surtout depuis l’apparition du Kabuki, d’autant qu’il s’agissait alors de cacher le corps masculin des acteurs censés jouer des rôles féminins. A partir de cette époque, on commença à utiliser le kimono – essentiellement ses manches, « sode » afin d’exprimer des sentiments de façon subtile, tels que la timidité, la mélancolie, l’attachement.... Les manches des kimonos sont souvent utilisées pour exprimer un sentiment de type amoureux, les larmes étant essuyées avec les manches. Egalement, les manches servent aussi à évoquer des phénomènes naturels, le vent, la pluie, ou des objets, un paravent, un oreiller, une lettre... Les chorégraphies sont réalisées en intégrant le kimono.

A l’origine des décors se trouve la danse qu’une prêtresse aurait exécutée à l’antiquité en tenant à la main des feuilles de bambou, dans lesquelles on croyait que la divinité se logeait. Cet élément de décor, qui représentait un intermédiaire entre ce monde et le ciel, prit plus tard la forme d’un éventail sur scène. De ce fait, l’éventail symbolise à la fois l’aspect sacré et rituel. Dans la danse du Kabuki, l’utilisation et la symbolique de l’éventail contient encore cette signification originelle. Par ailleurs, l’éventail sert également à évoquer aussi bien des objets - une coupe à sake, un sabre, un parapluie, une canne, une pipe, une lettre, une canne à pêche… - que des paysages ou un phénomène naturel - une montagne, la lune, la pluie, le vent, la neige, le brouillard, différentes formes que prend l’eau (une grosse vague, des rides sur l’eau, une chute d’eau) une fleur qui s’épanouit, des pétales de fleur qui tombent…. Le recours à l’éventail permet également d’exprimer les émotions ou les sentiments.

  • Les thèmes des œuvres

Ils sont principalement tirés des mythes, des légendes, de la littérature ou encore d’événements historiques… Les principaux répertoires sont regroupés sous les noms de « sanbasô-mono », « shakkyô-mono », « dôjôji-mono », qui sont des adaptations des pièces du Nô « Sanbasô », « Shakkyô », « Dôjôji ».

Présentation réalisée par Aya Sekoguchi Danseuse et enseignante de Nihon-Buyô, de l’école Nishikawa. Docteur en Philosophie Esthétique à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales de Paris (EHESS). Thèse « Le champ (basho) dans les arts traditionnels japonais - Autour de l'union corps-esprit et de la relation entre artiste et public chez Zeami », sous la direction d’Augustin Berque.


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