Depuis déjà au moins deux années, j’anime régulièrement des ateliers de présentation de l’écriture du japonais et de ses différents systèmes. Après avoir trouvé comment s’écrit son prénom en katakana, l’un de ces systèmes, je présente aux participants la calligraphie japonaise, son matériel et les bases de sa philosophie, avant de leur proposer de calligraphier leur prénom japonais.
Les participants sont tout autant des enfants, des adolescents, que des adultes et des personnes retraitées, dans différentes structures ; de l’école maternelle jusqu’à des clubs séniors.
« Le pinceau parle ! », dit-on quand des traits imparfaits se trouvent calligraphiés sur le ; ces traits pas droits et non uniformément pleins, laissant des parties blanches ça et là…
Les premières fois, quand j’avais animé ces ateliers avec des enfants de primaire, j’avais été décontenancé de les voir quasiment tous, d’un même mouvement, se pencher sur la calligraphie qu’il venait de réaliser pour, en tirant la langue, se concentrer à remettre de l’encre aux endroits où il en manquait, à corriger leurs traits pour qu’ils soient sans imperfections, bien droits, bien remplis et de largeur homogène.
De voir des parties blanches dans leurs traits, des traits imparfaitement droits et remplis, de voir ces traits en pointillés typiques de la calligraphie, que laisse parfois le pinceau quand on calligraphie, cela les dérangeait. Au point, qu’instinctivement, il leur fallait reprendre leur calligraphie, pour la corriger et former des traits parfaits !
Depuis, j’utilise cet exemple avec ces jeunes enfants, pour expliquer cette différence de culture fondamentale entre les Occidentaux et les Japonais et peut-être, plus généralement, les Asiatiques.
Ces parties imparfaites, pour les calligraphes et plus généralement pour les Japonais, ce sont en effet les parties les plus belles d’une calligraphie !
En effet, si nous pouvons certes reproduire à l’infinie et sur commande la forme des idéogrammes et des traits, nous sommes cependant incapables de reproduire ces imperfections. Dussions-nous y passer une vie entière à tenter de reproduire ces accidents que nous n’y arriverions jamais.
Il est donc impossible de reproduire, trait pour trait, imperfection pour imperfection, ce que nous calligraphions. Chaque calligraphie est donc unique ; une seule fois dans une vie !!
Ainsi, la volonté et le mental se trouvent inopérants !!
Pourtant, un ensemble d’actions s’effectuent et des décisions sont malgré tout prises pour qu’une calligraphie soit réalisée…
Pendant les 30-40mn que dure la partie « pratique » de l’atelier, les participants calligraphient à différentes reprises leur prénom en japonais. Ce faisant, et en recevant mes conseils, leurs calligraphies tendent généralement à devenir plus harmonieuses et il s’en dégage le plus souvent, surtout dans les versions finales, une impression de cohésion et d’équilibre. Elles expriment alors une charge énergétique, que chacun d’entre nous peut ressentir.
A la fin de l’atelier, d'ailleurs, les participants et moi-même, nous sommes pareillement tous étonnés de la nette évolution à l'oeuvre entre leur première et leur dernière calligraphie !
En plus que de noter l’évolution qui a conduit jusqu’à cet équilibre, chacun d'entre nous parvient désormais à pointer les imperfections de leur calligraphie : les traits et les signes dont il ne se dégage rien ou si peu ; en aucun cas cette impression d’équilibre.
Des trait certes parfaits, souvent trop droit et d'une même épaisseur que la partie des poils du pinceau ; un trait d’épaisseur différente de celle des autres traits, plus fin le plus souvent. Un katakana de taille plus petite que les autres, pour pouvoir le placer sur la feuille, avec les autres…
Ce sont autant de traits tracés, non pas avec la main tenant le pinceau, mais avec la tête, leur mental.
Quand nous regardons ensemble ces calligraphies et que je leur fais remarquer ces aspects, le plus souvent les participants eux-mêmes me confirment dans mon analyse ; voire même, parfois ils me précèdent en m’expliquant les faiblesses de telle ou telle partie de leur calligraphie et pourquoi, alors, le mental avait pris/repris le dessus.
Ce qui montre qu’ils ont compris la logique de la calligraphie et qu’ils se sont déjà engagés dans ce cheminement particulier, qui, à terme, fait de la calligraphie en quelque sorte une sorte de yoga ; le plus important n’étant pas de faire quelque chose de beau, esthétiquement, mais d’équilibré, donc harmonieux !
Au-delà de la volonté, de l’acte de décision - correspondant aux fois quand c'est leur mental qui a guidé le pinceau - autre chose est à l’œuvre, dont ils ne comprennent rien mais qu’ils constatent et dont ils deviennent désormais conscients ; et de son existence et de son efficience.
Un mouvement en eux-mêmes, qui les fait se mouvoir et qui laisse à la volonté le seul rôle de simple constateur.
Plus magiquement, chacun fait l’expérience de la présence d’autre chose en soi-même que la volonté, qui tire les ficelles et qui nous fait agir !!
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