Christian, Expert en Art et en culture Japonais
Nous pouvons constater que le mot secte, appartenant au vocabulaire ecclésiastique est employé depuis toujours par les spécialistes occidentaux (Français, Anglais, Italiens…) pour parler des religions asiatiques.
L’étymologie suppose une double origine latine, à savoir celle de "seccare", couper (qui a également donné les mots sécante et sécateur) et celle de "sequi", suivre un maître, dissident de l’Eglise catholique.
Dans les deux cas, il s’agit d’un terme plein de mépris qui désigne des mouvements jugés hérétiques.
Ce mot a été utilisé comme traduction du caractère japonais "shû", puisque les religieux japonais parlent de la Tendaï shû, Shingon shû, Kegon shû, Jôdô shû, Zen shû…
Voyons rapidement quelques auteurs occidentaux qui ont employé le mot secte :
Au 13e siècle, Marco Polo dans son Livre des Merveilles utilise le mot secte pour désigner les Musulmans, mais pour les Tartares de Kubilaï Kahn et les Chinois de la ville de Hangzou, il emploie le terme d’idolâtres, ignorant complètement les religions bouddhistes et taoïstes.
Au 16e siècle, les Jésuites François Xavier et Loïs Frois ont parlé dans leurs écrits des sectes bouddhistes et shintoïstes.
Du 17e au 19e siècle, en Chine, les Franciscains, Lazaristes et Jésuites ont décrit les croyances des sectes bouddhistes et taoïstes, le confucianisme étant davantage considéré comme un système social.
A la fin du 19e siècle et au début du 20e siècle, Fujishima Ryöon (1889) et E.Steinliber-Oberlin (1930) ont décrit dans leurs livres, avec une certaine précision, les 12 sectes du bouddhisme japonais.
En 1985, Yves Raguin, s.j., dans sa Terminologie raisonnée du Bouddhisme chinois a traduit le caractère tsung (jap. shû) par doctrine fondamentale et Tsung paï (jap. shû ha) par école ou secte.
En 2015, a été publié un livre sur les 50 maîtres de bouddhisme chinois, écrit par Christian Cochini, s.j., dans lequel il parle des sectes et des écoles de pensée.
Il faut préciser que tous les universitaires, donc théoriquement laïcs, ont repris ce terme péjoratif pour désigner les confessions bouddhistes, taoïstes et shintoïstes suivant ainsi les religieux du passé ou contemporains. Cette utilisation systématique montre la profondeur de l’imprégnation du monde catholique dans notre civilisation occidentale.
Toutefois René Sieffert, dans son livre « Histoire des religions du Japon » (années 1960), s’est posé la question de l’emploi de ce terme secte ; il a formulé ainsi l’utilisation répétitive de ce mot en écrivant : « conformément à l’usage, j’emploie le mot « secte ». »
Mais depuis une vingtaine d’années, certains universitaires ou chercheurs traduisent le mot shû par école, estimant peut-être le mot secte inadéquat.
Pour quelle raison emploie-t-on ce mot péjoratif à la place du mot Eglise qui semble être réservé aux seules Eglises catholiques et protestantes ?
La réponse est dans l’histoire de l’Eglise catholique. Sous Constantin, empereur depuis 306, fut promulgué l’édit de Milan en 313, qui donnait l’autorisation à tous les cultes d’être pratiqués, dont le Christianisme, interdit jusque-là. Quelques décennies plus tard, l’empereur Théodose, luttant contre les hérésies chrétiennes et le paganisme, a promulgué en 380, l’édit de Thessalonique. Celui-ci, assez court, définit la croyance des Catholiques, à savoir « l’unique Divinité du Père et du Fils et du Saint Esprit » puis déclare que les autres, donc les hérétiques et les païens « que nous jugeons déments et insensés, assument l’infamie de l’hérésie » ; « leurs assemblées ne pourront pas recevoir le nom d’Eglise et ils seront l’objet d’abord de la vengeance divine… »
La société française qui se définit comme laïque obéit donc depuis le 4e siècle aux injonctions de l’Eglise catholique, d’où une certaine difficulté plus ou moins consciente à reconnaître voire à accepter les autres religions.
Article paru initialement le 21/07/2016
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