Stéphane
"Ura" signifie "derrière, en deça" et "omote" signifie "devant, le visible, ce qui est directement accessible". Ce sont en quelque sorte les deux faces d'une même chose.
Ces deux concepts, ainsi que l'association de l'un et de l'autre, sont des concepts essentiels de la culture et de la société japonaises, traditionnelles comme contemporaines. En effet, on les retrouve à l'échelle de chaque personne, ce qui influence forcément la société.
Il y a ce que la personne montre, à travers ce que son visage traduit (même dans le cas où il ne traduit aucune émotion), tout comme à travers son comportement et sa vie quotidienne au travail et avec sa famille et ses amis, ..., ou encore à travers ce qu'elle dit avec les mots. C'est l'aspect "omote". D'autre part, il y a ce que la personne ressent, ce qu'elle pense, ses émotions... Il y a également ce que cette personne peut faire en dehors de son travail et hors de son cercle familial et amical, mais qu'elle ne montre pas ou que dans des occasions et dans des cercles très choisis. C'est l'aspect "ura".
Dans la culture et la société japonaises, montrer ses sentiments, ses désirs, ses ambitions, exprimer le fond de sa pensée, ..., cela n'est pas valorisé et bien plus, cela est très mal considéré. C'est, au mieux, considéré comme impoli. Plus généralement, c'est considéré comme un manque cruel de savoir être avec les autres.
Prenons par exemple l'échange de cadeaux. Traditionnellement, le cadeau était offert enveloppé dans un joli emballage, de tissu (furoshiki) ou de papier. Il n'est cependant pas ouvert en face de la personne qui vous l'offre, mais plus tard, en l'absence de la personne. De la sorte, la personne réceptrice du cadeau n'impose pas sa réaction et son émotion à la personne qui a fait le cadeau. De même, celui qui a fait le cadeau n'impose pas son impatience, son attente et sa réaction à la personne qui reçoit le cadeau. En ce sens, c'est différent, dans nos sociétés et nos cultures occidentales.
Parfois, les intervenants japonais de Quartier Japon, soit lorsqu'ils me parlent d'un de leurs élèves, soit lorsque je leur parle d'un de leurs élèves, un client de Quartier Japon, me disent "Je me demande pourquoi il/elle prend des cours", "Je ne comprends pas pourquoi il/elle s'intéresse à la culture japonaise..." "En fait, je ne trouve pas qu'il/elle comprenne vraiment la culture japonaise." Et parfois d'ajouter "Il/elle ne comprend pas vraiment la culture japonaise. Ce n'est pas étonnant qu'il/elle ne progresse pas en japonais : il/elle ne pense pas à l'autre ; c'est il/elle qui compte !".
Idem, parfois, lorsque certains de nos intervenants croisent un nouvel élève ou une personne venant prendre des renseignements, dans nos locaux. Si parfois je le leur en parle, justement parce que moi-même j'ai eu une mauvaise impression ou parce que ces personnes ont été source de complications, voire de désagréments, ces professeurs me parlent de la mauvaise impression qu'elles-mêmes ont eu de cette personne. Pourtant, elles n'avaient même pas adressé la parole à ces personnes ; elles n'avaient même fait que les croiser !
Depuis longtemps, ainsi, je sais que les Japonais ont un sens très développé de l'intuition, une capacité à sentir ce qui est au-delà de ce qui est dit et mis en avant.
Dans nos société et peut-être plus encore actuellement, chacun de la majorité d'entre nous s'efforce de se présenter sous ce qu'il considère être son meilleur jour. Chacun utilise beaucoup d'énergie à se mettre en avant et à correspondre à l'image qu'il se fait de lui-même.
Pour de nombreuses personnes qui s'y intéressent, la culture japonaise est considérée comme "cool", comme valorisante.
C'est sympa la culture japonaise ! Il y a en plus un côté un peu magique et facile associé à la langue et à la culture japonaise, pour certaines personnes. "La langue et la culture japonaise = l'univers magique du manga, des Lolita et du cosplay", pour certaines personnes.
Mais ce n'est pas le cas. Ce n'est qu'une première impression. Et encore, dans la mesure où on ne l'appréhende que sous un certain angle...
La culture japonaise et, logiquement, la langue japonaise, ça ne s'acquière pas comme ça, d'un coup de baguette magique, d'un seul clignement de paupière ou par le seul fait que ça nous intéresse ^^. Comme pour toute culture et l'apprentissage de toute langue étrangère, cela nécessite du temps, de la ténacité et des efforts pour peu à peu s'y habituer et l'acquérir. Et peut-être, pour nous autres Français, encore plus que certaines autres langues européennes !
Car, dans le cas de la langue japonaise, c'est toute une autre façon, à la fois et de "penser" et d'être, qui sous-tendent la langue, la communication et la culture !
Alors, forcément, quand certaines personnes sont plus tournées vers leur petit nombril que vers l'autre, la différence de l'autre et la rencontre, eh bien, "ça ne le fait pas vraiment"... Pour de telles personnes, au début de l'apprentissage, il y a certes un peu d'acquisition et de progression, mais bien vite cela stagne puis cela bloque. Ces personnes ne peuvent pas progresser dans leur apprentissage...
Tant que quelque chose en elles-même n'aura pas changé, qu'un "lâcher prise" ne se sera pas opéré au niveau de leur personnalité et de leur rapport à l'autre, toute progression sera impossible. Les Japonais, en premier lieu, sentiront rapidement, sinon immédiatement, que quelque chose en ces personnes les empêche de progresser et d'être communicantes. Ils ne souhaiteront plus / pas les avoir comme élève, comme apprenant. Ils sauront que ce type de relation sera toujours à sens unique et ils s'en détourneront.
Article paru initialement le 16/12/2015
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